Histoire du cinéma indien de 1896 à 1945
Le cinéma est né officiellement en 1895 en France avec la projection publique et payante du film Sortie d’usine des frères Lumière.
C’est à peine six mois après que débute l’histoire du cinéma en Inde, avec la projection de six courts-métrages des frères Lumière, en 1896. Cette projection est organisée le 7 juillet à l’hôtel Watson de Bombay.
Le choix de la ville de Bombay n’est pas le fruit du hasard. C’est la ville indienne par excellence tournée vers l’Europe. La ville la plus « occidentalisée » puisque c’est ici que réside l’élite coloniale anglaise et l’élite indienne anglophone et de ce fait, découvrent le cinéma.
Une semaine plus tard, sont diffusés au Novelty Theatre tous les films courts des frères Lumière, accompagnés d’un orchestre. L’année suivante en 1897, on diffuse des courts-métrages plutôt d’actualité, réalisés par des européens.
Début du cinéma indien sous le Raj Britannique (période historique de 1896 à 1931).
En Inde, les prémices de la naissance du cinéma indien se font sentir bien avant la première projection des six courts-métrages des frères Lumière à Bombay en 1896.
Les frères Patwardhan et leur shambarik khanolika (lanterne magique) constituent l’un des premiers exemples de projection sur un écran à partir de petites plaques de verres partiellement animées.
On trouve la trace de projections d’images appelées le « pat » : (peinture murale mettant en scène un conteur éclairant les images et les accompagnant de chants ou de paroles) qui constituent également les premières techniques expérimentales pré-cinématographiques.
La première décennie du vingtième siècle est marquée par un cinéma anarchique et informel.
On retrouve des projectionnistes forains sillonnant les campagnes indiennes avec leurs matériels chargés sur des chars à bœufs. Ils projettent tour à tour de petits films de comédie basés sur des gags en passant par des événements sportifs.
La particularité du cinéma indien c’est qu’il s’est répandu rapidement partout dans le pays, des grandes villes jusque dans les campagnes les plus reculées.
1912 est une date importante dans l’histoire du cinéma indien, elle marque la projection du tout premier film indien, Raja Harishcandra par Dhundiraj Govind Phalke surnommé Dadasaheb Phalke « le père du cinéma indien ».
Il s’agit du tout premier indien, ancien éditeur d’art, cultivé, qui revendique que l’Inde doit réaliser des films pour les indiens et surtout par les indiens.
L’envie de devenir cinéaste lui vient quand il voit pour la première fois à l’écran La vie du Christ d’Alice Guy (première femme cinéaste et pionnière dans l’invention du cinéma) en 1906, il choisit alors de faire des films consacrés aux dieux indiens.
Le Mahabharata et le Ramayana sont alors des sources intarissables d’inspirations ainsi que la danse et le théâtre traditionnels indiens. Le pari est réussi pour Phalke, le public habituel des films et l’élite colonial boudent le film mais la masse populaire indienne se rue dans les cinémas dès la sortie de celui-ci.
L’avènement du parlant.
Jamshedji Framji Madan est le premier distributeur a équipé intégralement pour le son, le cinéma Elphinstone Palace de Calcutta. En 1929, il y projette Melody of Love d’A.B Heath. En 1931, sort le premier film indien parlant, Alam Ara d’Ardeshir Irani, il compte sept chansons en hindi. Paradoxalement, l’avènement du cinéma indien parlant ne met pas à mal le cinéma muet puisque cette même année on recense pas moins de 207 films muets qui sont encore produits.
L’avènement du cinéma parlant est un choc pour les indiens, il offre une richesse incroyable de films et met en exergue les différentes langues du pays. Le cinéma indien se démultiplie, des studios de cinéma se construisent un peu partout dans les grandes villes : on parle alors de cinéma indien, de cinéma tamoul ou bien encore de cinéma marathi.
L’apparition du « sonore » nourrit l’envie des indiens de voir à l’écran leurs cultures, leurs langues, leurs danses, leurs musiques. Autre fait intéressant que nous pouvons relever, l’avènement du cinéma parlant n’a pas provoqué la disparition brutale de toute une génération d’acteurs comme cela a été le cas à Hollywood.
L’influence du cinéma occidental en Inde.
L’essor du cinéma a suscité un tel engouement que celui-ci s’exporte de manière rapide à travers le monde. Comme nous l’avons évoqué précédemment les films indiens sont inspirés des grandes épopées indiennes, s’adressant majoritairement à un public de tradition hindoue.
Pour contrôler toute influence « occidentale néfaste », le gouvernement anglais, dès 1918 fait voter une loi sur le cinéma. Un peu partout dans les grandes villes sont crées des comités de censure interdisant la nudité féminine, la prostitution ou bien encore l’alcool à l’écran.
Malgré cela, les productions hollywoodiennes envahissent le marché indien, si bien qu’en 1926, 86 % des films projetés en Inde, sont américains, ce qui ne laisse peu de place à la production indienne.
Mais pour parer à ce raz-de marré « occidental », le gouvernement britannique met en place en 1927 un Comité indien du cinéma formé de six membres : trois anglais et trois indiens. Ils sont chargés d’enquêter sur la production et la distribution cinématographiques en Inde. C’est un moyen de contrôle déguisé de la part du Raj britannique. Les anglais comprennent que le cinéma est un outil puissant de communication, une manière de véhiculer des idées, de faire passer des messages.
En 1934, l’Inde voit naître le mythique studio de cinéma The Bombay Talkies Limited . Le cinéaste allemand Franz Osten, est le premier occidental à travailler dans ce studio en partenariat avec des réalisateurs indiens. Il va contribuer fortement à l’essor du cinéma indien en apportant son expérience et du matériel provenant d’Europe. Le film Achhut Kanya est un véritable succès, Nehru en personne assiste à l’une des projections. Le film flirtant avec les idées progressistes du Parti du congrès, le Raj britannique, pour des raisons obscures renvoie Franz Osten en Europe et le fait interner. L’influence du cinéma occidentale est limitée et maitrisée rapidement par les anglais.
Le cinéma indien : l’expression d’une identité nationale.
Déjà évoqué, le cinéma indien prend sa source dans les épopées indiennes mais pas uniquement. La danse, la musique et le théâtre nourrissent le septième art indien. A partir des années 1930/1940, le cinéma indien « se partage » entre des films de traditions hindoues et un cinéma plus « social ».
En 1935, le film Devdas de P.C Barua, adapté du roman de Sarat Chandra Chatterjee est un succès national. Ce film raconte l’histoire de Devdas, fils de zamindar, amoureux de sa voisine Paro, que sa classe et sa caste interdisent d’épouser. Paro par le biais d’un mariage arrangé, épouse un vieillard. A la fin du film, Devdas est alcoolique et sombre dans la démence.
A travers ce genre de films, l’Inde pose une véritable réflexion sur sa propre société, elle pointe du doigt le malaise d’une société à dominante patriarcale, elle dénonce des traditions comme le mariage arrangé, ainsi que le système des castes et la violence faîte aux intouchables.
La montée en puissance de liberté et d’indépendance s’exprime en la figure emblématique de Gandhi. Celui-ci choisit de mener différentes actions non-violentes pour libérer son pays de la domination britannique.
Mais les anglais veillent au grain, la loi sur le cinéma votée en 1918 est surtout politique, le but est d’interdire par la censure tous films ou documentaires faisant allusion aux actions de Gandhi.
A la veille de l’indépendance en 1943, sort sur les écrans indiens Kismet de Gyan Mukherjee.
Le film présente pour la première fois un anti-héros qui refuse de faire amende honorable ou bien encore une femme enceinte avant le mariage.
Le film est surtout ouvertement patriotique et anticolonial. La chanson d’ouverture avec les paroles suivantes, je cite « Door Hato Ae Duniya Walon, Hindustan Humara Hai » (traduction littéraire : « en arrière étrangers, l’Inde est à nous ») marque l’esprit du public. Les anglais n’ayant pas compris le texte n’ont pas censuré le film.
Les colons britanniques sont dans l'impasse et l'indépendance de l'Inde en 1947 signe la partition du pays en trois. Le cinéma indien va fortement être influencé de ce vent de liberté mais également de cette fracture culturelle.